« J'ai voulu rompre avec l'image cuisine-Viking »
Robert Jarl a grandi à Norrköping, une ville suédoise à 2h de Stockholm. Dans son Lilla Krogen (“petit bistrot” en suédois) dont le nom tinte comme une chansonnette, quelques photos souvenir s'affichent sur les murs épurés. A 40 ans, après quelques années à bourlinguer en Suède, en Thaïlande et en Espagne, il a posé ses valises à Saint-Germain-en-Laye il y a huit ans et a appris le français « sur le tas comme vous dites ». Il a expérimenté les brigades des brasseries parisiennes pour finalement revenir aux sources de sa cuisine nordique il y a 3 ans, dans son petit cocon de la rue Saint-Pierre. Il a créé ce qui ne se fait pas en Suède et très peu en France, la bistronomie suédoise. Un mix simple entre de bons produits, la délicatesse française et des recettes bien balancées tirées du terroir suédois et twistées juste comme il faut, à mille lieues de la cuisine viking.
Aoste magazine : Pensez-vous qu'il existe un cliché de la cuisine scandinave ?
Robert Jarl: « Au début, je n'ai pas voulu faire les boulettes. Je ne voulais pas avoir la marque d'Ikea sur le front ! Je voulais vraiment montrer que la gastronomie suédoise c'est beaucoup d'autres choses. C'est plus tard, quand on a acquis cette réputation de restaurant de qualité que j'ai finalement mis les boulettes à la carte, parce qu'au final, c'est un bon plat malgré tout. Et on ne le sait pas, mais on utilise beaucoup d'épices dans la cuisine scandinave. Au début, quand je mettais du cumin dans un plat, des clients me répondaient “c'est pas très suédois ça !”. Ils avaient vraiment du mal à imaginer qu'un pays du nord puisse travailler autant les épices, et pourtant, les Suédois ont beaucoup voyagé au fil de l'histoire. J'ai voulu rompre avec l'image Vikings et montrer ce qu'est la cuisine de Suède aujourd'hui, simple et familiale.
Aoste magazine : Comment la décririez-vous ?
Robert Jarl : C'est plein de goûts différents. Les marinades et les pickles sont un pilier important. On marine tout : harengs, légumes, champignons, viandes. Ce sont des techniques très anciennes de conservation, on sale et on dessale les aliments puis on les met dans une marinade pour enlever le goût trop salé, généralement avec des goûts sucrés et vinaigrés. On aime aussi les légumes bien croquants, juste marinés, pour garder le côté frais. Les Suédois mangent beaucoup de légumes racine, des panais, des topinambours, des rutabagas. Là-bas, on ne les appelle pas les “légumes oubliés” comme ici ! Et la confiture d'airelle est incontournable, ce n'est pas un mythe, c'est comme le ketchup pour les Américains ! En fait, ça permet d'apporter une saveur acidulée qui équilibre le gras de la viande. J'utilise parfois aussi du cassis ou de la myrtille. J'aime beaucoup ce mariage entre les baies, la viande, les légumes pour équilibrer un plat un peu gras. De ce point de vue, c'est assez proche de la philosophie de la cuisine asiatique.
Aoste magazine : Est-ce que vous avez eu du mal à importer certains plats au restaurant ?
Robert Jarl : Les ingrédients ne posent pas problème. J'importe certaines choses directement de Suède comme la viande d'élan ou les harengs en saumure qui se gardent très longtemps. Je connais bien les circuits d'approvisionnement en Suède et je sais où me fournir pour avoir de la bonne qualité. Mais il y a des plats très rustiques, comme le pyttipanna, que je ne peux pas servir, notamment parce que ce n'est pas très esthétique. C'est vraiment un plat du quotidien où on mélange de la viande ou des saucisses, des pommes de terre, de l'oignon, le tout coupé en petits dés et revenu à la poêle. On le sert avec un œuf au plat et des pickles de betterave. C'est vraiment très bon mais je n'ai pas encore trouvé la façon de le servir au restaurant. En attendant, je le fais souvent à la maison.
Aoste magazine : Quel plat a le plus de succès ?
Robert Jarl : C'est le saumon fumé à chaud, je ne l'enlève jamais de la carte. Je le fume moi-même, en pavé pour qu'il soit comme mi- cuit. J'utilise du bois d'aulne et des baies de genièvre, c'est vraiment classique de ce qui se fait en Suède. »
Aoste magazine : Est-ce que le rapport à la gastronomie est le même en Suède qu'en France ?
Robert Jarl : Ici, vous êtes très intéressés par le repas. En Suède, on est peut-être plus intéressés par la qualité de la nourriture que par le fait de rester ensemble autour d'une table. En Suède, les longs repas, ce n'est que pour les fêtes de famille. »
Aoste magazine : Comment expliquez-vous qu'il y ait si peu de restaurants scandinaves en France ?
Robert Jarl : Je pense que c'est dû au fait que les Suédois mettent la gastronomie française au-dessus des autres. Les chefs suédois qui viennent ici ont envie d'apprendre la gastronomie française et pas de cuisiner suédois. Je suis un bon exemple, quand je suis arrivé en France, j'ai d'abord voulu travailler dans des brasseries à Paris. Mais à y réfléchir, il n'y aurait pas plus de restaurants comme le mien en Suède parce que la culture du restaurant est différente là-bas. Quand les gens sortent, ils veulent manger français ou italien, mais pas du tout suédois.
Aoste magazine : Un souvenir de cuisine en Suède ?
Robert Jarl:: Une saucisse de porc fumée dans laquelle on ajoute de l'orge. Elle a une texture très moelleuse. Elle est légèrement fermentée et servie avec des pommes de terre dans une sauce épaisse avec du persil et un peu de betterave, comme souvent ! J'en fait venir parfois.
Aoste magazine : Vous avez des projets ?
Robert Jarl : Oui, j'envisage d'aller un peu plus loin avec Lilla Krogen. Je ne veux pas en dire trop pour l'instant, mais cela me permettra de proposer de nouvelles choses à mes clients. Mais je resterai fidèle à mes origines suédoises. »
Restaurant Lilla Krogen, 2, rue Saint-Pierre, à Saint-Germain-en-Laye
09 81 89 89 56
www.lilla-krogen.com